Mardi 20 Novembre - Thanh Liên : km 9,270
On quitte Hanoï pour toujours, dans la direction hautement touristique de la baie d’Halong. Tous les hôtels et agences proposent une excursion à Sapa et à la baie d’Halong, mais pour la baie d’Halong, on est bien décidés à s’organiser tout seuls.
C’est notre première vraie étape à vélo au Vietnam, ça va nous servir de référence pour la suite de notre voyage. La sortie de Hanoi à 9 heures du matin est un premier repère, on espère ne pas trouver pire au Vietnam, et si c’est le cas, on peut dire qu’on a réussi l’examen. C’est vrai qu’on l’avait bien préparé il y a quelques jours en faisant un test sans les bagages.
Transport de canne à sucre
La suite : rien à voir avec les pistes cyclables de Corée bien sûr... On a suivi le GPS qui nous a amenés sur une route encombrée, un genre d'autoroute. Une analogie avec le Canada, où on a roulé souvent sur la voie de secours de l’autoroute, mais en bien plus poussiéreux et bruyant. Et surtout, en Vietnamien, c’est à dire en absence totale de règlement. On croise parfois des motards remontant de notre côté l’autoroute en sens inverse, on a appris à se regarder droit dans les yeux pour se mettre d'accord sur notre trajectoire. Mais contrairement à la circulation centre ville de Hanoï, On ne ressent aucun danger, on ne fait finalement qu’exploiter au mieux l’espace qui nous est offert et que l’on doit partager.
Tout cela m’inspire une longue réflexion, à cheval entre théorie mathématique et sciences cognitives. Avec une pensée pour JPW qui avait un faible pour le Vietnam et une curiosité à tout.
Si on imagine la situation d'un carrefour de 4 routes, n véhicules se présentent à l’entrée du carrefour. La question est de savoir comment optimiser les priorités et trajectoires de chaque véhicule pour vider au plus vite le carrefour en toute sécurité. Je vois trois scénarii.
1. On installe des feux en demandant aux gens de les respecter. C'est l'approche sécuritaire parfaite, tout est bien réglé, mais on constate des bouchons car les feux ont un tout petit cerveau qui n'arrive pas à avaler tous les paramètres.
2. Un gendarme s'installe au centre du carrefour, il a un sifflet à la bouche et un bâton lumineux au bout de la main, et il gère les priorités. Vu d'avion, on assiste à un manège bien organisé, mais les bouchons sont toujours là.
3. On laisse faire la nature, les véhicules décident de leurs trajectoires. Vu d'avion, c'est l'horreur, un genre de mouvement Brownien qui effraie les compagnies d'assurance, mais les routes se vident. Quant à la sécurité...
Explication....
Dans le 1er cas, tout est géré par des algorithmes mathématiques puissants mais limités. Dans les deux cas suivants, les cerveaux de tous les intervenants sont fortement mis à contribution.
Si on applique une analyse basée uniquement sur les sciences mathématiques : dans le second cas, le cerveau du gendarme doit gérer n relations (1 par véhicule), les individus sont passifs, ils obéissent au gendarme. Dans le troisième cas, chaque individu doit se soucier de tous les autres individus pour calculer en temps réel sa trajectoire et celle des autres qui influencent la sienne, ce qui fait un total de n * (n - 1) relations à gérer. Le ministre fort en maths va donc mettre en place soit un gendarme, puisque le nombre de relations à gérer - problèmes à résoudre - est bien moindre, soit des feux s'il croît dans les algorithmes.
Si on applique une analyse basée uniquement sur les sciences cognitives : le ministre fana de sciences cognitives va proposer la dernière solution, car il sait... et on l'a constaté sur le terrain : l'absence totale de règles (tous les coups sont permis au Vietnam, les véhicules peuvent couper le carrefour dans la diagonale, sortir sur la gauche...) offre tellement de possibilités de trajectoires que le problème mathématique est trop complexe. Par contre, il apparaît clairement que les cerveaux des n conducteurs ont la capacité de le traiter en temps réel. Chacun fixe sa trajectoire et la fait évoluer en permanence en fonction des échanges de regard et de la nouvelle position de ses concurrents.
Et ça fonctionne, pour de vrai ! C’est hallucinant, mais qu'est ce que c'est fatiguant !
Petite anecdote du jour : on prend un repas rapide dans un fast food tenu par des enfants de 10 à 13 ans. Personne ne parle anglais, je commande sur photo du riz frit recouvert d’un œuf au plat, un genre de croque madame au riz. On me sert le riz, il manque l’œuf. Je tente d’expliquer ma frustration, pouffée de rire générale, les enfants m’expliquent à travers Google Traduction que l’oeuf est mélangé dans le riz. Je montre la photo, second éclat de rire, je suis un martien. Je crois que quand on est entré avec notre tenue vélo et la sacoche guidon à la main, j’avais déjà aperçu des regards et des rires en coin. C’est d’ailleurs l’impression que nous renvoient les gens sur le bord de la route : surprise, rire, hello, envie de nous parler. C’est rigolo.
Et clin d’oeil au jeune cuisinier Tuan qui profite de notre pause café pour partager un moment, c’est sa façon de progresser en anglais. Sympa.